"L'identité hébraïque" : la solution aux fractures de la société israélienne ?
Un débat autour du livre "Chevet Akhim" révèle l'émergence d'un "troisième Israël" au-delà des clivages traditionnels
Au cœur de l'analyse de Danino se trouve un constat fondamental : contrairement à d'autres démocraties occidentales, Israël fonctionne selon "quatre contrats sociaux différents" plutôt qu'un seul. "En Israël, le concept de citoyenneté n'a presque pas de signification. Le fait que quelqu'un est citoyen ne définit pas l'ensemble de ses droits et de ses devoirs par rapport à l'État", explique-t-il.
Cette réalité se manifeste concrètement dans des domaines comme le service militaire. Danino illustre : "Si l'on prend par exemple une Israélienne, si elle appartient au contrat étatique général, arrivée à l'âge de 18 ans, elle devrait effectuer un service militaire. Si elle relève du contrat social religieux national, elle pourra soit effectuer un service civil, soit effectuer un service militaire, soit être exemptée. Si elle est issue du milieu ultra-orthodoxe, elle n'a aucune obligation de service national, ce qui est aussi le cas dans certains secteurs de la population arabe."
Cette compartimentalisation pose un défi particulier aux nouveaux immigrants, notamment français, qui "sont reliés profondément à la tradition juive et à la culture intellectuelle occidentale". À leur arrivée en Israël, "on leur demande de s'affilier à des catégories auxquelles ils ne s'identifient pas" et "de prendre des décisions qui ne correspondent pas à leur manière d'être".
La question essentielle soulevée par le débat porte sur l'origine de ces divisions : sont-elles le reflet naturel d'une société plurielle ou ont-elles été exacerbées par le système politique ? Pour Danino, "la division d'Israël en tribus est le produit de la société israélienne. De notre manière de penser, la politique en est le reflet. Je ne pense pas que les politiciens soient coupables. Les politiciens reflètent ce à quoi le public s'est habitué."
Dror Even-Sapir propose une lecture plus nuancée : "Je considère que le système politique accentue ces divisions", faisant référence aux tensions qui ont éclaté lors des débats sur la réforme judiciaire et sur la gestion de la guerre après le 7 octobre.
Philippe Velilla, auteur d'un livre sur Israël et ses conflits internationaux, abonde dans ce sens : "Le système politique a aggravé ces divisions qui sont naturelles" notamment à cause du "système de la proportionnelle qui a encouragé le clientélisme" et les "lois sectorielles, ces lois presque tribales". Il plaide pour "une réforme du système politique" qui pourrait atténuer ces fractures.
Mais au-delà du diagnostic, c'est la perspective d'un "troisième Israël" qui émerge comme la solution la plus prometteuse. Maurice Ifergan souligne que "ce nouvel Israël, ça s'appelle les traditionalistes, qui représentent 55% de la société israélienne". Il déplore que "un quart de la population qui se dit laïque, et un quart qui se dit orthodoxe ou religieuse, monopolisent le débat" alors qu'ils ne représentent ensemble que la moitié de la population. La notion "d'identité hébraïque" est évoquée comme un concept unificateur. Comme le rappelle Dror, le penseur Manitou affirmait que "l'identité hébraïque est le fondement organisateur de la nation juive et qu'il n'y a pas de laïcs, de traditionalistes, de religieux, que cette division est étrangère au judaïsme". Cette approche "permet de saisir le judaïsme d'une manière plus globale, beaucoup plus enracinée, moins catégorisée".
Ifergan conclut en citant David Ben Gourion, le père fondateur de l'État d'Israël : "Cet État sera démocratique parce que juif, et non pas juif parce que démocratique." Une formule qui, dans le contexte actuel, invite à repenser la relation entre identité juive et valeurs démocratiques non comme une opposition, mais comme une complémentarité essentielle à l'avenir d'Israël.
Alors que le pays traverse l'une des périodes les plus éprouvantes de son histoire, ce débat intellectuel offre une perspective rafraîchissante : au-delà des clivages superficiels qui dominent le discours public, une majorité silencieuse d'Israéliens aspire peut-être à une vision plus nuancée, plus inclusive et plus authentique de l'identité nationale.
Source : i24NEWS